Le corps est curieux. Il se déstabilise parfois pour mieux se recentrer. Une semaine de golf intensif à Marrakech, à arpenter les fairways : marcher, agiter les bras, cuire au soleil, geler au vent de l’Atlas. Un soir, je suis allée au hammam. Je voulais un long massage. Je me souvenais de mon expérience de l’an passé, à la fois douce et brutale, qui m’avait chaviré le corps au point de m’interdire le sommeil pendant plus de 24h. J’en avais encore peur. Pourtant, j’y suis retournée

Un vieil hammam traditionnel. Un guichet pour payer et recevoir mon panier avec un simple peignoir blanc. La longue attente en « salle de repos ». Le passage par les vestiaires. Une femme sans âge, à la peau noire, qui se plante devant moi et exige que je me désabille. Toute nue. J’en étais presque gênée, comme une enfant punie. Lorsqu’elle m’a vu bien nue et seule, elle est allée me chercher une affreuse petite culotte en tissu, un infâme cache-sexe soutenu par un ridicule élastique. Puis j’ai enfilé mon peignoir, des tongues trop petites, et je l’ai suivi dans un dédale de couloirs. Il y avait de la vapeur partout, les murs suintaient d’eau. Je suis entrée dans une pièce ronde comme un igloo, construite sur différents niveaux pour profiter plus ou moins de la chaleur : en bas, c’est supportable ; en haut, c’est intenable. Il y avait d’autres femmes, étendues et silencieuses. Je me suis allongée et j’ai attendue. Après dix minutes environ, elle est revenue. Elle a demandé : « ça va ? ». Sans attendre de réponse, elle m’a entrainé vers une autre salle. Il y avait une sorte de baquet en pierre, comme taillé à même le mur. Elle y puisait de l’eau dans un récipient qu’elle versait sur mon corps. Une eau brulante. Ce n’était pas doux. Il a fallu de nouveau la suivre. Je voyais sa grande taille, ses fortes hanches qui ondulaient. Ses cheveux étaient protégés par un épais foulard. Elle était vêtue d’un pareo clair et d’un vieux teeshirt à manches longues. Elle a nettoyé une table de massage. Par gestes, elle m’a demandé de m’allonger sur le ventre. Doucement, elle a recouvert mon buste d’une serviette puis j’ai senti ses mains puissantes qui commençaient le massage en huilant abondamment ma jambe droite.

Décrire la suite est difficile. Nous utilisons des mots pour exprimer la douceur, ou la force, la douleur, ou le plaisir, l’envie, ou le rejet … Comment exprimer tout cela en même temps ? Ses mains me semblaient immenses et implacables. Ses doigts, ses pouces surtout, labouraient chaque parcelle de mon corps, aimantés par mes points douloureux, mes zones de faiblesses, mes petites crispations. Elle me faisait mal, sans jamais dépasser ce seuil qui aurait pu me faire me lever pour abréger la séance. C’était une douleur consentie de l’étreinte. Des fois, ses mains se faisaient plus douces et s’aventuraient jusque aux limites de l’entrejambes. C’était une douceur lascive. Un pouce frôlait mon sexe. Je devenais brûlante. J’ai honte de l’avouer mais j’ai laissé échapper un petit gémissement.

Le massage est parti du bout de l’ongle du pouce de ma jambe droite, pour finir au sommet de mon crâne, sans oublier un seul centimètre de toutes les parties de mon corps. Je me suis faite pétrir comme un vulgaire sac à viande qu’on voudrait attendrir avant la cuisson. Je n’étais pas détendue. Je n’étais pas crispée. Je n’avais pas vraiment mal. Ce n’était pas vraiment bon. Je n’étais plus rien sauf la certitude de subir l’emprise de ses mains. Je ne saurais l’affirmer mais je crois qu’elle me tapait parfois. Ses mains comme des battoirs s’abattaient sur ma peau. Son corps entier semblait me recouvrir et tourner, comme pour remettre en place quelques muscles ou os égarés. Toujours cette alternance entre pressions, étirements et torsions, puis une lascivité troublante qui me rendait offerte, presque pantelante. Je me souviens de ses gros seins qui entouraient mon visage pendant que ses mains appuyaient quelques points étranges de mon ventre avant de descendre jusqu’aux cuisses. Je suis certaine qu’elle est venue effleurer mon sexe et pourtant, je ne saurais l’affirmer. Encore maintenant, si je ferme les yeux et me rappelle ces instants, un curieux désir monte. Je me souviens de torsions de mes jambes et de mes bras. Je me souviens de ses mains sur mes seins. Je me souviens de ses mains qui se glissaient entre mon dos et la table, alors que son corps dominait le mien au bord de l’écrasement et cela finissait sur mes fesses, presque entre mes fesses.

Après une heure environ, le massage s’est fait plus doux. Il fallait sans doute m’apaiser en caressant les muscles de mon visage. Elle a encore dit : « ça va ? ». Elle avait de grands yeux brillants. Elle est partie, en m’intimant d’un geste l’ordre de ne plus bouger. Il m’a fallu de longues minutes pour revenir. J’ai revu les murs en faience blanche, la vapeur partout. J’ai senti de grosses gouttes d’eau qui tombaient sur mon corps depuis le plafond. Je me suis longuement étirée.

Presque tendrement, elle m’a aidé à me lever. Nous sommes retournée au baquet de pierre pour me laver les cheveux, puis tout le corps. Telle une enfant, j’étais enduite de savon mousseux et odorant. Elle m’aspergeait d’eau brulante qui me faisait un bien fou.

Comme l’an dernier, je viens de me réveiller au milieu de la nuit. Je n’ai plus sommeil. Mon corps n’en a pas fini avec ce long massage. Je suis sereine. Ma peau est douce. Je ressens tous mes muscles. Ni douleur, ni douceur. Un léger feu brûle en moi. Ni trop. Ni pas assez.

 

Marrakech, le 1er février 2018, 4h14


Commentaires

Leave a Reply

Your email address will not be published.